« Merci. Mais ne t'inquiète pas. C'est normal.. d'être stressée. Tu es perfectionniste. Tu veux que tout aille dans ton sens. C'est souvent comme ça quand on est à la tête d'un projet. » Hochant faiblement la tête, Aédan finit par sourire. Elle n’aimait juste pas l’idée de déranger les gens et d’influencer négativement sur leur travail. Ici, tout ce qu’elle allait gagner c’était une mauvaise note si elle ne se calmait pas un peu. La jeune femme face à elle semblait cependant ouverte et ne la jugeait pas ce qui la rassura grandement. Pourtant, une sensation étrange se propagea en elle à force de la regarder. Elle avait l’impression de l’avoir déjà vue alors elle n’hésita pas à lui demander. Peut-être l’avait-elle déjà vu à la fac, à une soirée ou même dans  les rues de Memphis ? « Non... C'est la première fois que je viens depuis que j'habite en ville. Mais... mais je crois savoir... pourquoi tu... On en parle après, d'accord ? » Intriguée, Aédan regarda la maquilleuse puis le mannequin. Que savait-elle qu’elle ignorait ? Etait-ce la raison de son malaise ? Le stress d’Aédan n’y était peut-être pour rien ? Trop de questions se mélangeaient dans son esprit, la rendant un peu instable. Pourtant, elle dut faire avec. Il fallait qu’elle mène à bien cette séance photo.  C’était très important. Pendant tout le shooting, Aédan jeta des coups d’œil à la brune assise dans un coin. Elle ne pouvait pas s’en empêcher, son esprit revenait toujours vers elle. Peut-être aurait-elle dû la prendre comme modèle. Elle l’intriguait tellement que le résultat aurait sûrement été surprenant. Il restait encore du temps, si elle en avait le courage, elle lui demanderait plus tard.

La séance terminée, Aédan ne rangea pas ses accessoires, ayant toujours dans le coin de l’esprit cette idée de lui demander de poser pour elle, juste quelques minutes. Seulement, elle n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche, Sam la devança. « Bon... alors... parlons hm ? On devrait... s'asseoir. » D’un coup, Aédan se sentit étrange. Sam était encore stressée et elle comprit rapidement que la séance n’était pas vraiment la source du problème. Son esprit, toujours à l’affut, tenta de deviner par lui-même le pourquoi des doutes de la demoiselle mais rien ne vint. Imitant la maquilleuse, Aédan prit place sur une chaise et la regarda fixement. Elle aurait aimé que ses yeux ne la dévisagent pas ainsi mais elle fut incapable se détourner d’elle. Il fallait qu’elle parle, et vite. « Je... Ca ne va sûrement rien te dire mais je m'appelle Sam Zinser. Et mon père est... mon père était le deuxième amour de ma mère. » Plissant les yeux, Aédan sentit son cœur s’accélérer sans vraiment comprendre. Pourquoi lui racontait-elle cela ? « Je suis aussi... du coup... sa deuxième fille en fait. » Cette fois, la photographe fronça les sourcils. Deuxième fille ? Elle restait pendue aux lèvres de la demoiselle assise à ses côtés espérant avoir plus d’informations et surtout qu’elle aille droit au but. Elle détestait les énigmes mais elle se doutait que Sam ne faisait pas ça par envie, juste par crainte. « Je... je n'ai appris ça que l'année de... de mes 18 ans en fait. Et je suis venue en ville pour... trouver... la famille que je ne connais pas. » Comme si Aédan n’avait pas assez de soucis en tête, il fallait que cette demoiselle en rajoute. Sans pouvoir se contrôler, elle se leva et commença à faire les cent pas devant Sam. « Attends… » Levant la main, elle essaya de tout remettre en place dans son esprit. Elle cherchait sa famille, elle était la ‘deuxième’ fille de sa mère, elle avait été chamboulée en la voyant ? Aédan ne pouvait pas y croire. Finalement, elle se tourna face à la brunette et la fixa. « Si tu es la ‘deuxième’ fille de ta mère. Alors qui est la ‘première’ ? » La question n’en était pas vraiment une. Si Sam lui racontait tout ça à elle qu’elle ne connaissait pas, ça n’était pas par hasard. « Si je comprends bien tes allusions, je suis cette première fille, mh ? » Sa voix se fit tremblante, un mélange de tristesse et de colère. Elle n’avait jamais aimé sa mère. Celle-ci l’avait abandonnée pour vivre son soit disant rêve. Elle ne voulait pas d’une famille, elle n’était pas prête. Et là, elle découvrait qu’elle avait eu une deuxième fille qui semblait avoir presque le même âge qu’elle. C’était du délire. Sa mère n’était qu’une sombre conne. Aédan n’imagina pas un instant que son père ait pu lui mentir sur les raisons de l’absence de sa mère. Elle avait confiance en lui. « T’as quel âge ? » Son regard et son ton se firent plus froids qu’elle ne l’aurait voulu mais elle était furieuse. Elle avait toujours pensé que sa mère l’avait laissée pour vivre sa vie de hippie et qu’elle ne voulait pas d’enfant. Aujourd’hui elle découvrait qu’elle avait élevé et aimé une autre ? C’était parfaitement injuste. « Donc si je ne suis pas trop débile, je suis l’essai raté qu’une femme a abandonné pour avoir un autre enfant qu’elle a finalement gardé et décidé d’aimer ?! » Filant vers ses affaires, Aédan commença à les ranger furieusement. Elle savait que sa mère était morte et ça l’avait un peu embêtée, sans plus. Aujourd’hui elle aurait aimé qu’elle soit encore vivante pour aller lui cracher ses quatre vérités à la figure et lui dire à quel point elle était horrible. Sam n’y était pour rien mais malheureusement elle n’allait pas échapper à la colère d’Aédan.

« J'ai 20 ans. » Quatre ans de différence. Les informations montaient au cerveau de la brune, s’emmêlant complètement. Elle allait avoir mal au crâne. Et au ventre aussi. Tout son monde s’effritait peu à peu. Elle avait toujours ignoré sa mère, apprenant à vivre avec la déception de ne pas avoir été désirée. Après tout cette femme semblait avoir voulu profiter de sa liberté, c’était ce que son père lui avait dit. Impossible qu’il lui ait menti. Jamais il n’aurait fait une telle chose alors Aédan comprit rapidement que la femme avait dû changer d’avis. La sensation était affreuse. Elle qui avait toujours tenu ses pensées éloignées de sa mère se prenait en pleine face la dure réalité. Sa mère voulait des enfants, elle n’avait tout simplement pas voulu d’elle. La jeune femme était furieuse. Elle ne savait plus si elle devait rire ou pleurer. Sa mère n’était qu’une inconnue et ça la détruisait de se laisser prendre au piège. Elle ne voulait rien ressentir pour elle mais il semblerait qu’elle se soit voilé la face. Jamais elle n’avait accepté cet abandon, et elle allait encore moins le faire sachant que cette garce avait eu une autre fille.

Tout ce qu’elle put faire ce fut de ranger ses affaires pour partir loin de cette demoiselle. Comme si quitter la pièce allait tout effacer. Aédan savait très bien que ça serait pire. Au fond, elle avait plein de questions mais elle n’était tout simplement pas prête. Elle venait à peine de retrouver un peu de bonheur suite à la mort de son père. Pourquoi cette  chienne de vie ne la laissait-elle pas tranquille. « Ecoute... je comprends ta réaction. » Un rire qu’elle ne sut retenir. Comment pouvait-elle comprendre ? Elle n’avait pas été abandonnée par sa mère. Aédan se reteint de lui envoyer à la figure se contentant de rassembler le reste de ses affaires. « Je ne veux pas que tu penses que je veux... m'imposer dans ta vie, d'accord ? J'avais juste envie... de te rencontrer. Et puis j'ai... j'avais un truc à te montrer. De la part de m... Aleida. » Ce nom. Ca faisait des années qu’elle ne l’avait plus entendu. Et ça la brisa. Elle sentit son cœur se serrer bien trop fort en imagineant la femme qui aurait du l’élever serrer un autre nourrisson qu’elle. « C'est une lettre. Je l'ai reçu à mes 18 ans. Et elle y parle de toi. C'est pour ça que j'ai su et que je suis venue ici pour te trouver. » La demoiselle à ses côtés n’était en rien responsable des actes de leur mère mais malheureusement pour elle, Aédan n’avait personne d’autre sur qui porter sa colère.

Ses affaires rangées, elle s’apprêta à partir mais malgré elle, la jeune femme voulait connaître le contenu de cette lettre. Son cœur battait la chamade. Elle avait peur. « Je l'ai quelque part, je le sais. Il faut que tu la lises. Ne pars pas ok ? Je l'ai... LA ! Je l'ai là ! » Les yeux sur le papier, Aédan le regarda longtemps, incapable de le prendre. « Ne... ne pars pas tout de suite ok ? Ou.. ou alors prends la lettre et... lis la. Seule. Si tu veux. » Relevant les yeux vers elle, la brune se rendit compte qu’elle avait arrêté de respirer. Cette lettre allait peut-être changer la vision qu’elle avait eue de cette femme et elle ne savait pas si elle le souhaitait vraiment. Après tout n’était-ce pas plus simple de  haïr quelqu’un ? ça facilitait l’acceptation, l’absence. Du moins c’était ce qu’elle pensait. « Mais ne la déchire pas ok ? S'il te plait ? Enfin... je te la passe mais je voudrais la récupérer après. Et puis ça sera l'occasion peut-être de... se revoir à tête reposée ? »

Posant finalement les doigts sur le papier, Aédan ne put retenir un frisson. Sa mère avait tenu cette feuille entre ses doigts. « Je ne vais pas la déchirer… » dit-elle calmement, se surprenant elle même. D’abord, ses yeux glissèrent sur la fine écriture sans lire les mots. Elle observa juste les courbes se disant qu’elle avait presque le même style que sa mère. Etait-ce juste une coïncidence ou y avait-il un vrai lien ? Relevant les yeux vers Sam, elle inspira longuement avant de commencer à lire.  Les premiers mots lui firent mal. Elle ne cessait de féliciter sa fille, naturel pour une maman mais être l’autre enfant qui n’a jamais eu de tels compliments fut dur à encaisser. Evidemment son père ne l’avait jamais laissée de côté. Toujours un mot agréable, un compliment. A cet instant, elle pensa à lui, se disant qu’il lui manquait terriblement. Les larmes commencèrent à obstruer la vue d’Aédan et elle les repoussa rageusement. Elle voulait lire cette lettre et ne pas être gênée par ces foutues gouttes d’eau. « c'est une erreur que je ne reproduirais pas si je devais recommencer ma vie à zéro. j'aurais cette fille mais je la garderais ». « Si seulement » murmura Aédan avant de reprendre sa lecture. « vous êtes mes deux plus belles réussites. mes fiertés » Comment pouvait-elle être fière d’elle alors qu’elle n’avait jamais su ce qu’elle était devenu ? « pour que tu lui dises tout ça. pour que tu lui dises que je l'aime aussi. pour que tu lui dises que j'ai pensé à elle. que je ne l'ai jamais oublié » A ces mots, Aédan dut arrêter de lire. C’était trop dur. Les larmes coulaient abondamment le long de ses joues, son cœur se serrait atrocement. Sa mère l’avait aimée. Elle s’était tuée à se persuader du contraire. Elle ne semblait pas être la garce qu’elle s’était imaginée et c’était dur à encaisser. Elle s’en voulait, au fond. Mais elle lui en voulait aussi de ne pas avoir cherché à la retrouver avant.

« retrouvez vous et apprenez à vous connaître. j'espère qu'à cause de moi, vous ne serez pas en conflit. j'espère que vous apprendrez à vous aimer. ta maman. votre maman. » Perdue, Aédan ne s’était même pas rendue compte qu’elle s’était assise par terre. La lettre lui échappa des mains s’échouant sur ses jambes étendues devant elle. Rapidement, elle cacha son visage dans ses mains et pleura. Longtemps. Elle ne sut pas combien de temps mais quand elle releva le visage, elle vit Sam. Toujours présente. « Je… suis désolée de t’avoir crié dessus… Rien de tout ça n’est de ta faute » confia-t-elle, la voix se cassant sous la tristesse. « Je m’étais dit que c’était tellement plus simple de la détester, puis de l’ignorer. De vivre sans elle, sans y penser. Tu sais… je me suis longtemps dit qu’elle ne m’avait jamais voulu et que moi non plus je ne voulais pas d’elle. » Fouillant son sac, elle attrapa un mouchoir et essuya le maquillage qui barrait ses joues. « Maintenant je fais quoi ? Comment je peux la haïr ou même continuer à faire comme si elle n’avait jamais existée ? » Le jeune demoiselle était totalement perdue. « Je… je ne suis pas prête à te poser des questions sur elle, je n’y arriverai pas. Je dois… juste encaisser… mais je veux bien apprendre à te connaître… » Aédan ne savait pas si c’était une bonne idée mais elle n’avait plus personne à part James. Ses amis de fac n’étaient plus aussi intéressants à ses yeux. Sam était de sa famille. Même si elles ne s’étaient jamais rencontrées avant, leur mère avait raison, elles devaient apprendre à se connaître, à s’aimer. Une sœur ça n’est pas rien. Elle ne pouvait pas se permettre de tourner les talons et faire comme si rien n’était arrivé.